giovedì 18 giugno 2009

Francesco Saraceno: Y- a-t-il un risque de déflation en Europe ?

Francesco Saraceno, économiste à l'OFCE
Y a-t-il un risque de déflation en Europe ?
LEMONDE.FR | 10.06.09 | 11h08 • Mis à jour le 18.06.09 | 07h21 Réagissez (2) Classez Imprimez Envoyez Partagez
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L'intégralité du débat avec Débat en direct avec Francesco Saraceno, économiste senior à l'OFCE, en partenariat avec l'OFCE, mercredi 17 juin 2009 à 15 heures, mercredi 17 juin 2009

Dans un chat au Monde.fr, Francesco Saraceno, économiste à l'OFCE, décrypte le risque de déflation en Europe et les mécanismes économiques qui permettront de lutter contre cette perspective.

Fred : Qu'est-ce que la déflation ?

Francesco Saraceno : La déflation, c'est un phénomène dans lequel on a en même temps une baisse des prix et une baisse du PIB, du niveau d'activité de l'économie. On définit la récession par une baisse consécutive du PIB pendant deux trimestres. On parle de déflation si l'on a en même temps une baisse des prix. Aujourd'hui, avec les estimations pour 2009 du FMI, il n'y a pas de pays dans la zone euro en situation de déflation. Tous les pays de la zone euro ont un taux d'inflation estimé pour 2009 positif. En revanche, les Etats-Unis et le Japon sont dans cette situation, car il y a une baisse des prix prévue en 2009.


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EFI : Pourquoi constate-t-on un recul de l'inflation dans certains pays ?

Francesco Saraceno : Parce qu'il y a une chute de la demande et de l'activité. Et, du coup, on n'arrive pas à vendre les biens et les produits, donc on doit baisser les prix.

kaiser : Quels sont les risques et enjeux d'une spirale déflationniste ? Ne peut-on pas voir cela comme un avantage au lendemain d'une crise car si les prix baissent, la consommation et le pouvoir d'achat en seraient relancés, non?

Francesco Saraceno : En principe, ce que vous décrivez est le mécanisme par lequel la phase descendante du cycle tend à se désamorcer toute seule. Si la baisse des prix continue suffisamment longtemps, il y aura un moment où la consommation va reprendre précisément parce qu'il y aura augmentation du pouvoir d'achat. Mais il y a deux problèmes: le premier, c'est que ce mécanisme automatique peut durer très longtemps et donc la récession peut se prolonger. Pensez à la dépression des années 1930.

Deuxième problème : en fait, la baisse de l'activité et le chômage peuvent exercer une pression à la baisse aussi sur les salaires. Donc à ce moment-là, on peut avoir une spirale déflationniste : baisse des prix et baisse des salaires. Donc la récession toute seule n'a pas nécessairement d'effet sur le pouvoir d'achat, pour répondre à votre question.

lapatella : En cas de déflation en Europe, quelle(s) politique(s) économique(s) proposeriez-vous ? Pourrions-nous nous inspirer de l'expérience du Japon ?

Francesco Saraceno : La réponse à la première phase de la crise a été assez classique, et pratiquement tous les économistes ont pensé que c'était la bonne réponse. D'un côté, les banques centrales ont baissé les taux de façon plus importante aux Etats-Unis, mais aussi en Europe.
Et de l'autre, quand l'instrument monétaire est arrivé à épuisement - il n'y avait plus de marge de manoeuvre -, on est entré dans une situation de trappe à liquidité.

A ce moment-là, c'est la politique budgétaire qui doit prendre le relais, ce qui s'est effectivement passé, surtout aux Etats-Unis. Et je trouve que la comparaison entre les Etats-Unis et l'Europe est assez intéressante. Parce que d'un côté les Etats-Unis sont le point d'origine de la crise, et de l'autre, si on regarde les estimations qu'on a, pour 2009 et 2010, ils semblent s'en sortir mieux que la zone euro. On prévoit une baisse du PIB partout, mais aux Etats-Unis, ce sera autour de 3 %, tandis qu'en Europe, ce sera autour de 5 %, avec par exemple l'Allemagne qui a une chute du PIB prévue à 6 %.

Ce paradoxe peut s'expliquer, à mon avis, par le fait qu'en Europe il a été très difficile de mettre en place une politique de relance coordonnée. C'est un défaut structurel de la zone euro, qui a une gouvernance très particulière, comme on le sait.

Jean-Michel_Lucas : Les outils de mesure de la variation des prix sont-ils normalisés à l'échelon européen ? Si oui, comment ?

Oui, ils sont harmonisés par Eurostat.

etudiant : La question de la déflation en Europe se pose à court terme, mais à plus long terme, dans la mesure où les Etats se sont endettés comme jamais ils ne l'ont fait depuis la guerre, ne doit-on pas plutôt craindre une remise en cause non explicite de l'indépendance de la BCE et ainsi une inflation afin d'abaisser le coût réel de la dette ?

Francesco Saraceno : En temps normal, ce qui est en train de se passer aurait naturellement des conséquences très inflationnistes. Les banques centrales, aux Etats-Unis comme presque partout dans le monde, sont en train d'acheter de la dette, privée et publique. Le problème, c'est qu'on n'est pas en temps normal.

Les injections de liquidité dans le système, qui sont très importantes, ne circulent pas, mais sont amassées par les banques et les firmes. Et cela parce que la plupart du secteur privé avait des ratios de dettes sur actifs qui étaient totalement fous avant la crise. Donc aujourd'hui, l'objectif principal est de ramener ces ratios à un niveau plus normal. C'est pour cela que je disais qu'on est dans une situation de trappe à liquidité.

Donc, dans une telle situation, si d'un côté la politique monétaire n'est pas efficace pour relancer l'activité économique, c'est la politique budgétaire qui devait prendre le relais. D'autre part, elle a encore un rôle à jouer pour améliorer la situation patrimoniale du secteur financier et des firmes. Et le fait que le secteur privé ne remette pas en circulation la liquidité à court terme écarte tout risque d'inflation. A moyen terme, une fois sortis de la crise, il faudra se poser le problème de drainer ces liquidités qui circulent. Et cela devra être fait au fur et à mesure que les agents privés reprennent une activité normale, que le système du crédit recommence à fonctionner normalement, etc.

Mais je n'ai pas beaucoup d'inquiétudes sur ce point, car je crois que les banques centrales ont aujourd'hui un niveau d'expertise tout à fait rassurant, et elles sauront comment drainer ces liquidités quand ce sera le moment de le faire.

Pour répondre à la deuxième partie de la question, il y a eu des occasions où la dette a été réduite par des phénomènes inflationnistes. Cela n'a pas été le cas, par exemple, dans une des situations qu'on cite le plus souvent comme très similaire à la situation actuelle, c'est-à-dire la crise japonaise des années 1990. Je le répète, je crois qu'on a suffisamment bien appris le coût d'une inflation élevée au cours des années 1970 pour ne pas répéter les mêmes erreurs qu'à l'époque. Je pense donc que la priorité aujourd'hui est de relancer l'activité économique, et cette priorité est beaucoup plus importante que le risque d'inflation, qui reste aujourd'hui tout à fait théorique.

lapatella : Est-ce que vous pensez que l'Europe avec son pacte de stabilté et de croissance (le PSC) possède les leviers qui peuvent lui permettre de gérer une déflation par la dette ? En d'autres termes, le PSC a-t-il été pensé pour faire face à ce type de conjoncture ?

Francesco Saraceno : Là, on est dans une situation où la plupart des pays européens ne sont pas contraints par le pacte de stabilité. Le pacte de stabilité, même dans la version d'origine de 1997, prévoyait qu'en cas de récession importante (une chute du PIB de plus de 2 %), les pays puissent faire un déficit au-delà de 3 %. Donc on voit bien qu'aujourd'hui, avec des taux de croissance de - 4 ou - 6 %, le pacte en soi n'est pas une contrainte. Il a été une contrainte, en revanche, au début des années 2000. On avait alors une croissance faible, mais pas suffisamment pour pouvoir suspendre le pacte. Là, il a joué un rôle en forçant les grands pays européens, notamment la France et l'Allemagne, à ne pas conduire des politiques expansionnistes.

Jeffi : Quels sont les pays européens les plus touchés par la déflation ?

Francesco Saraceno : Aujourd'hui, parmi les grands pays, les deux qui ont les prévisions de croissance les plus mauvaises sont l'Italie et l'Allemagne. Par ailleurs, l'Allemagne a un taux d'inflation prévu pour 2009 autour de 0 %. Ce qui veut dire qu'elle n'est pas techniquement en situation de déflation, mais presque. Parmi les grands pays européens, la France, avec des prévisions autour de - 3 %, s'en sort plutôt bien. Et un pays qui va être très touché par la crise, même s'il ne fait pas partie de la zone euro, c'est le Royaume-Uni. C'est une économie très financiarisée, et elle a été touchées de plein fouet par la crise financière.

dan47 : Pensez-vous que la déflation n'est en fait qu'un juste retour des évènements produit lors du passage à l'euro, où les prix ont augmenté et les salaires ont stagné ?

Francesco Saraceno : Non. Il y a eu un problème lié au passage à l'euro, une sorte de transfert des richesses, des revenus fixes, aux revenus variables. Mais cela n'a rien à voir avec la crise d'aujourd'hui.

jc02 : Serait-il bon pour un pays fort touché par la crise comme l'italie ou l'Espagne de quitter momentanément la zone euro ?

Francesco Saraceno : Le mot "momentanément" me laisse perplexe. Quitter la zone euro, ce n'est pas impossible, mais je le qualifierai de fort improbable. Premièrement parce que cela représenterait des coûts énormes. Et deuxièmement parce qu'il y aurait une chute de la crédibilité du pays qui compenserait tout avantage théorique d'une dépréciation de la lire, de la drachme ou de l'escudo. C'est clair que certains pays, notamment l'Espagne, l'Italie, qui se sont souvent servis des dévaluations pour se sortir des crises et récupérer la compétitivité qu'ils avaient perdue notamment à cause de l'inflation, aujourd'hui sont contraints par l'euro, car ils ne peuvent pas utiliser une telle politique.

Le fait de faire partie de la zone euro a signifié qu'ils ont été protégés des mouvements spéculatifs sur les titres de la dette publique. Un pays comme l'Italie qui a une dette bien au-delà de 100 % du PIB aurait eu beaucoup de problèmes pendant la crise actuelle si elle avait encore la lire, et pas l'euro. Pour résumer, techniquement, sortir et entrer dans l'euro, ce n'est pas une chose qu'on fait facilement, et du point de vue économique, les coûts d'être en dehors de la zone euro sont beaucoup plus élevés que les bénéfices.

Dan : En ce sens, ne risque-t-on pas de voir l'émergence d'une monnaie nouvelle ?

Francesco Saraceno : Non, et surtout je n'en vois pas l'utilité. Le problème aujourd'hui est de savoir si les politiques monétaires sont adaptées, pas si l'euro est adapté. Et je dirais que la politique monétaire a plutôt pas mal réagi à la crise. Même si peut-être la BCE aurait pu être un peu plus agressive au tout début de la crise.

odo : Comment se fait-il que toutes les liquidités reçues par les banques n'éloignent pas le risque de déflation ?

Francesco Saraceno : Comme on est dans une situation de trappe à liquidité, cette injection de liquidités reste dans les banques et les firmes, et ne sont pas remises en circulation.

manu: Est-ce à dire qu'il faudra s'attendre à une longue déflation jusqu'à un redémarrage progressif de la demande ?

Francesco Saraceno : Cela veut dire qu'aujourd'hui, la tâche de soutenir la demande et de faire redémarrer l'économie repose plutôt sur les épaules des gouvernements et de la politique budgétaire. Ce qui par ailleurs semble être assez clair pour tous les gouvernements. En revanche, ce qui manque aujourd'hui, c'est un vrai effort de coordination, surtout au niveau européen. On a l'impression que chaque pays agit pour soi, sans s'occuper de ce que font les partenaires. Et à mon avis, cela pose le problème de la gouvernance économique en Europe. Ce serait bien d'avoir des hommes politiques avec suffisamment de vision pour profiter de la crise et relancer le projet d'un vrai gouvernement économique européen. Si on y pense, dans le passé, chaque avancée importante de l'Europe s'est faite dans un moment de crise. Pourquoi pas cette fois-ci ?

zorn : Et si l'absence de coordination masquait les divergences d'intérêts ?

Francesco Saraceno : Il y a eu dans le passé beaucoup de situations où ça a été le cas. Aujourd'hui, je pense qu'on a tous plus ou moins les mêmes problèmes. C'est une crise globale qu'on doit gérer, on a tous le problème de relancer la demande. Mais il est clair que dans un hypothétique et utopiste gouvernement européen, on aurait le problème de gérer des intérêts et des régions d'Europe qui sont différents. Comme aux Etats-Unis on doit gérer les différences entre les divers Etats.

Jeremy : Si la déflation touche asymétriquement certains pays de la zone euro, n'y a-t-il pas un risque d'implosion interne ?

Francesco Saraceno : Je pense que même les pays les plus touchés et les plus contraints par la crise n'ont pas d'incitation à quitter la zone euro. Pour les raisons que j'ai déjà évoquées. Donc le pouvoir de chantage est très limité.

black_swan : Si la déflation s'installe, la relance budgétaire en venant alourdir la dette des Etats, ne risque-t-elle pas de créer une tension à la hausse sur les taux, compromettant ainsi la relance par l'investissement ?

Francesco Saraceno : En principe non. Un chiffre qu'on aime nous faire remarquer, c'est que chaque enfant qui naît dans ces pays a déjà une dette d'une année de salaire. On oublie pourtant de nous dire en même temps que nous avons de la dette, mais aussi des actifs : les autoroutes, les ponts, les écoles, les hôpitaux... Donc si on veut faire un discours approprié sur la soutenabilité de la dette, il faut évaluer en même temps la dette et les actifs qu'on a. Donc par rapport aux plans de relance d'aujourd'hui, ils seront d'autant plus soutenables à long terme s'ils parviennent à faire augmenter les actifs en même temps que la dette.

Et cela m'amène à deux considérations : la première, probablement pas très populaire, c'est qu'une augmentation des dépenses aujourd'hui est préférable à une réduction des impôts, car une réduction des impôts augmente la dette sans créer d'actifs, tandis qu'une augmentation des dépenses peut, si elle est bien calibrée, faire augmenter aussi les actifs. La deuxième considération, qui est liée, c'est que dans ce contexte la définition d'actifs doit être entendue au sens large. Des dépenses courantes, par exemple, qui augmentent le niveau des biens publics comme la santé et l'éducation, augmentent le potentiel de croissance à long terme de l'économie. Donc, par ce biais, les actifs immatériels de la société.

En ce sens, je trouve que c'est plutôt un bon signe que l'administration Obama n'ait pas renoncé à mettre sur la table le débat sur le système de santé, en dépit de la crise. Les ménages ne vont pas consommer tant que la confiance ne revient pas et tant qu'ils n'ont pas les ressources. Donc au niveau général, il faut qu'ils aient le sentiment d'un gouvernement qui fait ce qui est nécessaire. De plus, il faudrait mettre en place des instruments de soutien des plus démunis. Par exemple une augmentation temporaire du montant des allocations chômage, car tous les instituts prévoient que le chômage va passer la barre des 10 % entre 2009 et 2010.

Diogène : Ne faudrait-il pas interdire ou à tout le moins encadrer les tentatives de diminution de salaire que des entreprises tentent d'imposer à leurs salariés?

Francesco Saraceno : Oui, et en fait cela nous ramène à un discours plus général sur les causes plus structurelles de la crise. On observe une tendance, dans les trois dernières décennies, vers une redistribution des revenus en faveur des riches et des très riches, qui consomment une fraction moins importante de leurs revenus. Cela a créé un déficit structurel de croissance.

Donc la croissance molle dans la zone euro peut être expliquée par ce biais. Aux Etats-Unis, on a eu une croissance importante parce que cette redistribution a été en quelque sorte cachée par une dette croissante. Et cette dette était clairement insoutenable, comme on peut le constater aujourd'hui. Donc en fait, je pense qu'une fois sortis de la crise, il faudra traiter ces causes structurelles. On devrait revenir vers des systèmes d'imposition plus progressifs, à un système de stabilisation automatique qui puisse mieux absorber les chocs et donc servir d'assurance pour les segments les plus défavorisés de la société, et comme je le disais, en renforçant l'offre de biens publics : santé et éducation. Car en Europe aussi on observe une tendance à compresser ces secteurs quand on devrait au contraire les développer.

Ce qui est important, c'est que tout cela devrait se faire au niveau mondial. Car la concurrence fiscale entre les pays n'est pas plus efficace que les dévaluations compétitives des années 1930, et, en même temps, ne fait qu'augmenter les inégalités et la fragilité structurelle de notre économie.


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