giovedì 27 novembre 2008

jean daniel sul psf

Nº2299SEMAINE DU JEUDI 27 Novembre 2008
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Un obscur désir de suicide




Le pire est-il concevable ? Oui. Imaginons. Le Parti socialiste français, l'une des plus grandes formations de toutes les démocraties occidentales, explose dans la division et met de lui-même un terme à sa mission, mais cela dans les règles les plus démocratiques qui soient. La première conséquence de cette explosion est très simple : il n'y a plus d'opposition face à un pouvoir présidentiel devenu plus personnel que jamais. Ce sera le vide. Face au gouvernement et aux majorités dans les deux Chambres, il y aura des personnalités, d'ailleurs très valables, à la tête d'une kyrielle de partis. Nous aurons une série de petits François Bayrou, lequel aura perdu le prestige de la solitude. Nous aurons ainsi l'avantage de démontrer que le fonctionnement de la démocratie dans la nation peut être mis en question par un excès de démocratie dans les partis de l'opposition. C'est un paradoxe, mais il ne faut en ignorer aucune des composantes.
Le Parti socialiste actuel est majoritaire dans les élections locales, règne sur sept des dix plus grandes villes de France et sur vingt régions. Il constitue une force considérable. Ce parti a à son actif bien des gloires. Il a installé au pouvoir pendant quatorze ans un homme d'Etat, François Mitterrand, qui, non content d'avoir mis fin à des décennies de domination des communistes sur la gauche, a maintenu les structures unitaires du Parti socialiste. Et l'on trouve tout naturel de voir s'affronter deux candidates pour la direction d'une des formations politiques les plus sexistes de la nation. On s'est tellement passionné pour le pugilat entre Ségolène Royal et Martine Aubry que l'on a fini par oublier qu'il s'agissait de deux femmes. Elles sont arrivées à leur niveau de responsabilité par leur seule énergie, en venant de la base, sans avoir été désignées par personne.



C'est pourtant ce parti qui s'est réuni en un congrès où la lutte féroce et mesquine pour le pouvoir a dominé la compétition des idées. Comme si, après quarante années, il était soudain visité par une secrète envie de disparaître. Car, après tout, il ne s'agissait que de choisir entre une candidate, Ségolène Royal, persuadée que l'adaptation au monde moderne exigeait la «participation» de tous les «humanistes», et une autre candidate, Martine Aubry, qui estimait que la vigueur dans la fidélité suffisait pour restaurer la vieille maison et même rajeunir ses enfants. Si l'on oublie la gestuelle, l'apparence, l'image - c'est-à-dire ce que la télévision a pour fonction de rendre prioritaire -, la confrontation a été souvent d'une certaine densité, et il n'était donc pas indigne d'hésiter entre les audaces non maîtrisées de l'une et le conservatisme autoritaire de l'autre.
Je ne jurerais pas qu'il n'y ait pas eu, dans le dernier stade de la compétition, après que Bertrand Delanoë et que Benoît Hamon s'étaient retirés, des tractations entre gens qui n'avaient pas que de nobles préoccupations. Mais ce n'est pas le propos d'un article comme celui-ci. Il est évident que Ségolène Royal a suscité une coalition qui ressemble fort à une conjuration. Mais n'a-t-elle pas tout fait pour s'assurer un statut de victime dont elle pensait imprudemment bénéficier ? Cela dit, je ne me lasserai pas de répéter que l'importance des changements brutaux qui sont en train d'ébranler notre monde et la conscience que l'on peut en avoir doivent être les critères de tout jugement.



Cela est valable pour tous et en particulier pour nos deux candidates. Rien, dans leurs proclamations ni même dans les motions de leurs experts, ne me conduit à penser qu'elles aient pris la mesure de ce qui menace aujourd'hui tout notre système économique et paralyse nos prévisions. Ni Martine Aubry, représentante, en somme, de la social-démocratie classique, ni Ségolène Royal, représentante d'un Parti socialiste «démocrate» à l'américaine, ne nous donnent la moindre piste pour sortir de la crise actuelle, la plus forte que nous ayons connue depuis 1929, provoquée par l'aveuglement des élites et le grégarisme des leaders d'opinion. Incapables de lire notre environnement international, les deux candidates ne nous disent rien, enfin, sur le monde extérieur, à un moment où les Européens ont montré une certaine capacité d'action commune, où la Chine a rejoint le G20 et où les Etats-Unis révisent leurs stratégies en reconnaissant qu'ils ne seront plus les seuls acteurs sur la scène internationale.

Pour ce qui est de la crise, je lis avec intérêt et profit les analyses de Thomas Piketty et de Pierre-Alain Muet. Qu'ils permettent à un profane de leur dire que leurs différences ne sont pas évidentes et qu'en tout cas les unes et les autres pèsent peu sur les déclarations de la candidate de leur choix.
Je pourrais continuer, ne serait-ce qu'en pillant mes confrères étrangers, ceux de «The Economist», du «Wall Street Journal» et tout simplement ceux que cite «Courrier international». Sur les déchirements du Parti socialiste, qui sont allés pourtant jusqu'à la foire d'empoigne, ils sont plus indulgents que d'ordinaire, et moins sadiques que nous ne sommes masochistes. L'excès de démocratie n'est pas assimilé systématiquement à un désordre et ne provoque pas chez eux les ricanements méprisants qu'ils peuvent avoir lorsqu'ils parlent de l'Italie.
Certains de ces commentateurs comprennent, comme j'essaie de le faire ici, que le grand risque est de voir toute opposition disparaître dans la démocratie française. Car ce n'est pas avec les «anticapitalistes» et les socialistes antilibéraux que l'on constituera une formation dotée d'une vraie doctrine et d'une réelle capacité de mobilisation. Sur la crise, puisque c'est vraiment mon seul critère, avec celui du changement, je n'ai rien vu venant de l'extrême-gauche ou du centre qui annonce cette sagesse prophétique que tout réclame.
Mais revenons à notre hypothèse initiale : lorsqu'il n'y aura plus de parti pour constituer la grande opposition légale au pouvoir du président de la République, on me dit que le contre-pouvoir constitué par les Régions ne fera qu'augmenter. Rien n'est moins assuré, et il faudra bien, aussi, s'attendre à ce que le mécontentement s'exprime dans la rue.




Jean Daniel
Le Nouvel Observateur

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