giovedì 20 novembre 2008

jean daniel sul psf

Nº2298SEMAINE DU JEUDI 20 Novembre 2008
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PS : le refus de grandir




Même le recul, la distance ou l'âge n'arrivent pas à me rendre indifférent à la façon dont les socialistes abordent le tournant inévitable que l'histoire leur impose. Les procès les plus brillants qu'on peut leur faire me laissent un goût amer, et quelque chose en moi demeure concerné lorsque je vois des personnalités jusque-là parfaitement dignes ne plus être fidèles à leur parti que dans le désir qu'elles ont de le gouverner.
Je ne sais pas encore qui va sortir vainqueur de cette funeste compétition, mais je sais que celui ou celle qui l'emportera aura bien du mal à dissiper ce parfum de tristesse que laisse une nostalgie lorsque l'on ne sait plus dans quoi l'enraciner. Sans doute penser le monde est-il plus passionnant et plus urgent que s'attendrir ou s'indigner des convulsions d'un parti. Mais nous serions indignes de nos engagements initiaux si nous renoncions à recenser les raisons de cette dégradation. Surtout lorsque fait soudain irruption une époque où un gouvernement en principe réactionnaire est contraint de recourir à l'Etat dans des proportions que l'on était tout disposé, à gauche, à trouver archaïques. Car si l'on jauge le degré de progressisme à l'aune de l'intervention de l'Etat, alors nous pourrions considérer que nous sommes aujourd'hui gouvernés par une droite d'un socialisme plus rigoureux encore que celui d'Olivier Besancenot.
Finalement, toute la question est là : les prodigieux changements du monde font que la droite peut abandonner ses comportements traditionnels et qu'il ne suffit plus d'être contre elle pour être de gauche. Tout cela ne rend pas inutile un retour en arrière. Je n'ai jamais été communiste ni trotskiste. Ni d'ailleurs membre d'aucun parti. Je n'ai jamais fait partie des premières équipes de Michel Rocard au temps où sa formation annonçait tous les jours la fin du capitalisme et préconisait l'autogestion. Mais nous ne nous sommes pas pour autant éloignés de lui lorsque nous avons, à la création de ce journal, adopté la caution de Pierre Mendès France comme le recours à Jacques Delors et à Edmond Maire.



L'imagination introuvable
Je ne sais de quel adjectif qualifier le choix que nous avons fait alors et qui exprimait, en fait, un rejet de la politique de Guy Mollet et de sa conduite de la guerre d'Algérie. Lorsque «le Nouvel Observateur» sort ses premiers numéros, il incarne tout ce que Mitterrand déteste, en particulier le trio Mendès-Edmond Maire-Michel Rocard - Jacques Delors demeurait alors sur la réserve, bien qu'il fut, comme nous, un social-démocrate au sens le plus nordique qui soit. Mais, sans toujours nous l'avouer, nous ne pouvions effacer le fait qu'après avoir rétabli la République, installé la Sécurité sociale et accordé aux femmes le droit de vote, de Gaulle avait mis fin à la guerre d'Algérie. Si l'on ajoute qu'il considérait la planification comme une «ardente obligation», il faut bien convenir que l'on avait affaire à une nouvelle droite qui ne trouvait plus en face d'elle que le Parti communiste et la CGT. C'est à ce moment-là - et nous n'avons cessé de l'écrire - qu'aurait dû commencer, pour le Parti socialiste, l'effort d'imagination qui lui aurait permis de jeter les bases d'une nouvelle social-démocratie.
Lorsque la nécessité s'est imposée de créer une force pour combler le vide entre de Gaulle et les communistes, lorsque, dans le désaveu de soi-même ou avec des intentions stratégiques, Pierre Mendès France nous a incités à rallier l'Union de la Gauche, lorsque, enfin, nous avons découvert que François Mitterrand était le seul stratège politique qui pouvait s'adapter aux circonstances - le seul, en plus, qui avait la stature d'un chef d'Etat -, alors nous avons voulu faire de notre journal le lieu d'une recherche nouvelle pour une gauche intellectuelle, comme l'étaient aussi le Club Jean-Moulin et la Fondation Saint-Simon. Et nous n'avons cessé, depuis, de prendre parti en faveur d'une Europe politique indépendante des Etats-Unis et qui préconiserait une «régulation du capitalisme qui préserve l'économie de marché».

Marx l'avait prévu
Les concepts de droite et de gauche n'allaient pas cesser d'être bousculés jusqu'à ce que soufflent les grands vents de l'histoire qui, après avoir pulvérisé l'empire soviétique et conduit les religions au fanatisme, ont entraîné la superpuissance américaine dans une idéologie interventionniste. Et tandis que des peuples entiers étaient terrassés par la famine, les épidémies, les guerres civiles, nous avons vu le grand rêve de l'internationalisme prolétarien, volontaire et progressiste se transformer en une mondialisation subie et chaotique. C'en était fini de l'espérance de voir un nouveau «citoyen du monde» évoluer dans le «village planétaire».
La dernière réunion du G20, concédons-le à Nicolas Sarkozy, a pris conscience de ces menaces. Nul ne songe plus à contester l'opportunité des interventions de l'Etat dans l'économie d'un pays, et chacun admet que le chef de l'école qui a préconisé le contraire, Milton Friedman, avait élaboré une pensée fatale pour les Etats-Unis, donc pour le monde. Elle a, hélas, inspiré bien des penseurs français et l'on a vu des intellectuels tout refuser à l'Etat après lui avoir tout accordé à l'époque où ils étaient marxistes.
Nous avons récemment publié un entretien avec Michel Rocard (1) dans lequel je retrouve une vraie fidélité à des pensées qui nous ont toujours été communes. Par exemple, Rocard rappelle : «On l'a oublié, Marx ne remettait jamais en cause l'économie de marché ! Son oeuvre majeure et posthume (2)affirme que le drame central du capitalisme, c'est sa tendance permanente aux déséquilibres et aux crises. (...) Il insiste aussi sur la tendance de la finance à prendre le pas sur l'économie réelle. Marx annonce une crise plus grave que les autres en raison d'un déséquilibre de l'économie réelle provoquée par la toute-puissance mondiale d'une finance elle-même complètement chaotique. Eh bien, nous y sommes ! La gauche, avec Marx, a disposé de l'instrument intellectuel de prévision économique le plus fabuleux qui soit et n'a pas su s'en servir !» C'est ce que le philosophe Ferdinand Alquié appelait «le refus de grandir».

De nouvelles priorités
La où le rappel des propos de Rocard est le plus opportun, c'est dans son voeu, sans cesse martelé, d'une «régulation européenne et mondiale de l'économie de marché». Et ce qu'il y a de plus déconcertant, c'est que lorsque l'on compare les conclusions des meilleurs experts en économie de chacun des candidats du congrès de Reims on découvre qu'ils font des constats identiques. Ce qui n'empêche pas ces jeunes experts, en principe tous partisans de la modernité, de ranimer le vieux débat sur l'alliance avec le centre. On sait que ce débat avait un sens lorsqu'il s'agissait de trahir ou non l'orthodoxie marxiste et «la mise en commun des moyens de production». Mais aujourd'hui, à moins d'être tenté, sans le dire, de rejoindre l'ultragauche, rien n'est plus artificiel - pour ne pas ressusciter le mot «archaïque».
On voit bien que ce qui importe désormais, c'est d'être véritablement habité par le fait que le monde change beaucoup plus vite que notre volonté de le changer, que ses mutations nous échappent souvent, que l'on ne peut rien imaginer ni construire sans avoir fait le bilan de tous les changements et recensé les possibilités que nous avons de nous y adapter. Les priorités ne sont plus les mêmes depuis l'interpénétration des cultures et la «babélisation» des langues, et depuis que la planète subit des menaces de toute part. Il ne s'agit pas forcément d'une question de génération et l'âge des capitaines ne fait rien à l'affaire. Jamais Léon Blum n'a été plus lucide qu'en prenant de l'âge. Il est évident que si le Parti socialiste ne change pas intellectuellement et structurellement, il ne suscitera bien vite que les regrets que nous pouvons avoir des lampes à huile et de la marine à voile.

(1)«Les Débats de l'Obs», n° 2297 du 13 novembre 2008.
(2) «Fondements de la critique de l'économie politique» , qui ne sera traduit en français qu'en 1968.




Jean Daniel
Le Nouvel Observateur

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