venerdì 21 agosto 2009

Le gran retour de Marx

Nº2337SEMAINE DU JEUDI 20 Août 2009
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Le grand retour de Marx

Les dérives du capitalisme financier du XXIe siècle donnent un regain d'actualité au théoricien barbu du «Capital», dont les intuitions prennent avec la crise une force inattendue.




Au moment où ils sentaient le sol se dérober sous leurs pieds, les grands pécheurs se sont toujours tournés vers Dieu. Toutes proportions gardées, c'est la déplaisante aventure qui est arrivée aux fondamentalistes du marché lors de la récente crise boursière. On a même défilé à Wall Street au cri de «Marx avait raison !» et, de par le monde, beaucoup se sont souvenus des terribles oracles du penseur allemand sur l'auto-destruction inéluctable du capitalisme. Tous se sont en tout cas demandé si cette gigantesque secousse serait «the Big One». Il n'en a rien été jusqu'ici. «Sauvez les banques !» est à l'instant devenu le mot d'ordre de tous les gouvernements, ces «fondés de pouvoir du capital», comme les appelait Marx. Fausse alerte, retour aux crédits pourris et aux stock-options, comme au bon vieux temps de Lehman Brothers ? Aux oubliettes, l'empêcheur de «titriser» en rond ?
Pas si sûr. «Sans virer à l'écarlate, le fond de l'air a repris des couleurs», se félicite Daniel Bensaïd dans son «Marx (mode d'emploi)» illustré par Charb, paru en mai dernier (1). Certains détails ne trompent pas en effet. Des angoisses tout d'abord, comme celle trahie par le fameux discours de Toulon, le 25 septembre 2008, où Nicolas Sarkozy mouilla sa chemise comme jamais aux prémices de la crise pour rassurer les Français sur l'avenir du capitalisme, système ayant selon lui «permis l'essor extraordinaire de la civilisation occidentale depuis sept siècles». Des surprises aussi, le ministre des Finances allemand se déclarant nouveau lecteur de Marx dans une interview au «Spiegel». Des chiffres ensuite, l'édition allemande du «Capital» qui a triplé ses ventes en un an, ou encore le surprenant succès de librairie rencontré par un essai aussi violemment anticapitaliste que «l'Hypothèse communiste» d'Alain Badiou. Des événements enfin, comme ce colloque qui s'est récemment tenu à Londres, coeur battant de la finance mondiale. Un happening rouge qui a réuni du 13 au 15 mars les plus grands noms de la philosophie, du marxiste slovène Slavoj Zizek à Toni Negri ou Jacques Rancière, pour repenser positivement l'avenir de l'idée communiste.

Un tabou est en tout cas en train de tomber. Le nom de Marx n'évoque plus seulement cet épouvantail sanguinaire que l'on agitait il y a peu encore pour terrifier les classes moyennes en les soumettant au chantage bien connu : les bonus ou le goulag. Ainsi le magazine «Time» encourageait-il récemment ses lecteurs, dans un numéro de janvier 2009, à redécouvrir «cette immense tour, inévitable, dominant les autres dans le brouillard». D'autres l'avaient devancé dans cette réhabilitation relative, de l'hebdomadaire «Challenges» consacrant fin 2007 sa couverture à l'actualité de l'analyse économique marxiste, jusqu'à «Courrier international» titrant non sans perspicacité «Marx le retour», l'été qui précéda la présente déflagration.
Certains s'emploient toutefois à perpétuer la légende noire. Celle d'un Marx complice de ses détournements léninistes et maoïstes, coupable des exactions meurtrières de masse commises par les Partis-Etats du XXe siècle, et définitivement discrédité à ce titre. Ainsi Bernard-Henri Lévy, qui veut désormais éradiquer jusqu'au mot de «socialisme», reprochait-il ici même à Jean Daniel, il y a quelques semaines, le simple fait d'avoir cité le nom d'Engels, cosignataire du «Manifeste» avec Marx. De quoi redonner un parfum de soufre à un penseur séquestré depuis le début des années 2000 par toute une batterie d'intervenants médiatiques peu suspects de sympathies bolchevistes.

Ainsi le théoricien barbu de l'accumulation primitive du capital se sera-t-il trouvé d'étonnants disciples en la personne d'Alain Mine par exemple, n'hésitant pas à se présenter comme le «dernier marxiste français» dans de récentes interviews, sans parler de Jacques Attali, auteur en 2005 d'une hagiographie du philosophe (2). Mais quel est donc le Marx encensé par ces chevilles ouvrières du marché mondialisé ? Une boîte à outils intellectuelle indispensable pour comprendre les crises récurrentes du capitalisme, ainsi que l'a également affirmé à plusieurs occasions Pascal Lamy patron de l'OMC. Le premier penseur à avoir compris le rôle paradoxalement «révolutionnaire» du capital, détruisant sur son passage les frontières, renversant toutes les hiérarchies millénaires et les croyances héritées. Un phénomène auquel un Attali applaudit sans réserve, tandis que Marx en était l'observateur prophétique effaré.
Un Marx amputé de la «question sociale» quoi qu'il en soit, désinfecté de sa part la plus vive : la révolte devant l'injustice et la haine de l'argent, ce veau d'or qui «détourne les âmes les plus belles vers tout ce qu'il y a de honteux et de funeste à l'homme», écrivait-il en citant l'«Antigone» de Sophocle. Certainement pas le Marx admirateur de la Commune en tout cas, ni l'âpre penseur de la lutte des classes. Pas davantage celui qui décrivait en 1867 son «Capital» comme «le plus terrible missile qui ait jamais été lancé à la face des bourgeois». Mais n'est-ce pas finalement le destin des grands que de connaître des disciples de tout métal ? Marx ne se reconnaîtrait sans doute pas davantage dans nombre de ses admirateurs du NPA, désormais accrochés à la défense des acquis de l'Etat-providence «bourgeois» et définissant la révolution comme «un tendre engagement» à la manière de leur porte- voix Olivier Besancenot (3).
Inaugurant les nouveaux locaux de la London School of Economies, le 25 mars, la reine Elisabeth II avait demandé à son entourage pourquoi personne n'avait su prévoir la crise. On aurait pu lui répondre qu'un vieux socialiste allemand, longtemps réfugié dans son royaume, l'avait en quelque sorte annoncée cent soixante ans auparavant. Ce serait toutefois exagérer les capacités prédictives de Marx. Jamais celui-ci n'aurait pu envisager la survie aussi longue d'un système qu'il jugeait à la fois irrationnel dans son principe et dévastateur dans son devenir. Après la désorientation de l'hiver, le capitalisme est plus que jamais là, et ses alternatives crédibles n'ont toujours pas été inventées.

(1)Editions Zones.
(2)"Karl Marx ou l'esprit du monde", Fayard.
(3)"Révolution ! 100 mots pour changer le monde", Flammarion.




Marx face à Proust
Au milieu des années 1860, les filles Marx soumirent leur père au célèbre «questionnaire de Proust.»
- Votre qualité préférée : la simplicité-
Votre principal trait de caractère :la ténacité.
- Votre idée du bonheur : combattre.
- Votre idée du malheur : la soumission
- Le défaut que vous pardonnez le plus : la crédulité.
- Le défaut que vous détestez le plus : la servilité
- Occupation préférée : dévorer des livres
- Poètes favoris : Shakespeare, Eschyle, Goethe.
- Prosateur favori : Diderot.
- Héros favoris : Spartacus, Kepler.
- Plat favori : le poisson.
- Maxime favorite : «Rien de ce qui est humain ne m'est étranger.»



«18-Brumaire»
Réfugié à Londres, Marx écrit en 1852 un court texte de circonstance pour un journal new-yorkais.«Le 18-Brumaire de Louis Bonaparte» deviendra un des pamphlets les plus célèbres au monde. Le penseur allemand y dénonce avec une verve cruelle le coup d'Etat du 2 décembre 1851. «Je démontre comment la lutte des classes en France créa des circonstances et des conditions qui rendirent possible le fait qu'un personnage médiocre et grotesque joue le rôle de héros.» Ajouté aux «Châtiments» de Hugo, le coup est rude pour Napoléon le Petit.



«Fétichisme de la marchandise»
L'expression apparaît dans «le Capital» en 1867. Coupés de leur valeur d'usage, c'est-à-dire de leur utilité, les produits du travail humain ont tous «une même réalité fantomatique». Ils manifestent seulement que du travail y a été accumulé, et c'est en ce sens seulement qu'ils sont réputés avoir une valeur. Marx utilise l'expression «fétichisme de la marchandise» pour désigner l'opération par laquelle on voile le caractère social de la production de celle-ci. Ainsi les hommes se laissent-ils aliéner par les «cristaux» de leur propre travail. Ce concept aura une grande influence sur la pensée de Guy Debord et de Jean Baudrillard.



Aude Lancelin
Le Nouvel Observateur

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