"La mort du PS ? C'est possible"
LE MONDE | 26.08.09 | 14h45 Réagissez (16) Classez Imprimez Envoyez Partagez
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Directeur général de l'Organisation mondiale du commerce et membre du Parti socialiste, Pascal Lamy estime que la gauche doit davantage critiquer le capitalisme, notamment en analysant ses limites anthropoliques.
Comment expliquez-vous le recul presque général de la social-démocratie lors des européennes de juin ?
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Abonnez-vous au Monde.fr : 6€ par mois + 30 jours offerts Pascal Lamy,62 ans, est directeur général de l'Organisation mondiale du commerce depuis 2005. Membre du PS depuis 1969, il a été l'un des proches de Jacques Delors, au ministère de l'économie et des finances (1981), puis à la présidence de la Commission européenne (1984). Directeur général du Crédit lyonnais (1994), il a été commissaire européen au commerce entre 1999 et 2004.
Il est l'auteur, notamment, de La Démocratie monde : pour une autre gouvernance globale (Seuil, 2004).
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Cet échec est paradoxal en temps de crise, mais il est indiscutable. Pour deux raisons. En dépit de la réflexion engagée par le Parti socialiste européen, son analyse du capitalisme de marché n'était ni assez approfondie ni entendue, faute d'être suffisamment partagée et promue par les partis nationaux. On a dit pendant des années que les socialistes français étaient plus malades que les autres. Non seulement ils ne sont pas guéris, mais la faiblesse idéologique dont ils souffrent s'est plutôt étendue aux autres socialistes européens.
Le paradoxe est que les sociaux-démocrates avaient, pour la première fois, un manifeste commun...
Oui, mais c'était un travail du haut vers le bas, qui n'a pas été porté par les différents partis. Le Parti socialiste européen est un beau concept, mais qui n'a pas encore de réalité politique. La meilleure preuve est qu'il n'admet pas les adhésions directes. Au Parlement européen, le groupe socialiste est une juxtaposition de groupes nationaux. Ni le SPD allemand ni le Labour britannique ne s'y intéressent vraiment. Quant au PS français, cela dépend des individus. Résultat : il n'y a pas d'homogénéité idéologique au sein du PSE.
L'Europe a longtemps été, selon vous, le lieu du compromis social-démocrate. L'échec des socialistes n'est-il pas la traduction de la faiblesse de l'UE ?
Le problème est plus fondamental. Il porte sur les valeurs et l'analyse, mais aussi sur les instruments et la tactique politiques à mettre en oeuvre. Sur le terrain des valeurs, la gauche mondiale doit remettre à jour sa critique du capitalisme de marché. Les termes dans lesquels se pose la question sociale - qui reste la question centrale pour la gauche - ont fondamentalement changé sous l'effet de la mondialisation : l'espace dans lequel elle doit être pensée et traitée est l'espace mondial. Bien sûr, elle continue de se poser à l'échelon local et national, comme le montrent les succès de la gauche au Brésil ou en Inde. Mais persister à ne pas partir d'une analyse à l'échelle mondiale est une impasse.
De plus, les espaces idéologiques à l'intérieur desquels on doit situer une approche de gauche sont devenus plus complexes. L'axe traditionnel est celui qui va de la liberté à l'égalité. La gauche donnant la préférence à l'égalité, une notion plus collective, et la droite à la liberté, plus individuelle. A cet axe s'est ajouté un deuxième : l'axe marchand-gratuit. Et un troisième émerge : l'axe économie-anthropologie. Autrement dit, le bonheur est-il lié à la richesse ? Quelles sont les limites anthropologiques à la pression consumériste sur le statut des personnes ? La gauche doit réfléchir aux limites du capitalisme de marché dans des termes à la fois plus sophistiqués et plus critiques. Aussi longtemps qu'elle ne fera pas ce travail approfondi de rénovation des concepts, elle passera à côté d'une grande part de la réalité sociale d'aujourd'hui, et restera donc inaudible.
Et l'écologie ?
Elle est évidemment une préoccupation majeure, mais désormais bien identifiée. Alors que la concurrence est le concept fondamental de la droite comme la solidarité est celui de la gauche, je pense que l'écologie est une dimension de la solidarité.
Comment penser la solidarité au niveau mondial ?
C'est évidemment le problème essentiel. Le résoudre implique un énorme changement culturel, car les instruments de solidarité sont forcément des instruments d'organisation et de contrainte collectives, ce qui soulève immédiatement la question de leur légitimité : jusqu'à présent, les seuls outils collectifs légitimes sont ceux qui résultent de processus démocratiques dont l'espace par excellence est celui de la nation. Ces outils restent donc stato-nationaux. Nous devons partir à la recherche d'une démocratie-monde capable de légitimer une solidarité globale.
Au-delà des valeurs, quels sont les instruments et la tactique à adopter ?
Il y a deux instruments possibles pour développer la solidarité : la redistribution et la régulation. Cette dernière est souvent plus facilement acceptée, même si je suis bien placé, à l'OMC, pour savoir que la mise en place de règles suppose des négociations parfois aussi complexes que celles des mécanismes de redistribution.
Quant à la tactique, c'est l'éternelle question : faut-il favoriser le rassemblement à gauche, quitte à ne pas trop insister sur la plate-forme, ou au contraire privilégier la rénovation du contenu idéologique. De Mitterrand à Jospin, la gauche française a toujours fait le premier choix. Je pense que c'est mettre la charrue avant les boeufs ; mais sur ce point je suis minoritaire au sein du PS depuis longtemps.
Quelle est votre analyse sur la situation du PS ?
Le PS est prisonnier des institutions et de sa culture parlementaire. Il est en porte-à-faux par rapport au système présidentiel et à la sacralisation du pouvoir. Il est peuplé d'élus locaux de qualité accaparés, à juste titre, par leur travail de gestionnaires et d'administrateurs et qui savent que l'incantation politique ne guérit pas les écrouelles. Je comprends le malaise du PS face aux institutions mais on ne reviendra pas, hélas, sur l'élection du président au suffrage universel. Il faut donc l'accepter et s'y adapter. Mais ce n'est pas le seul handicap. Il faut que ce parti propose une véritable plate-forme idéologique. Ça ne se résume pas à trois formules ; c'est un énorme travail intellectuel. Or le PS est devenu une grosse bureaucratie politique, qui consacre 80 % de ses ressources à son fonctionnement interne.
Comment le remettre au travail ?
1 | 2 | suivant Propos recueillis par Gérard Courtois et par Frédéric Lemaître
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